Guerres en Ukraine, en Arménie, en Israël, catastrophes naturelles en Grèce, en Turquie, au Maroc, en Lybie la mort est à nos portes. À nos portes seulement ?
Nous avions prévu de longue date de diffuser ce documentaire de Présence Protestante (France 2). La douloureuse actualité pourrait laisser croire que notre démarche est vaine. Elle l’est, bien sûr. Comme l’art est vain et comme les beaux discours ne remplissent pas les ventres.
Pourtant, ce documentaire peut aussi nous interpeller : combien de "morts au kilomètre" faudra-t-il pour nous réveiller ? Pour bâtir la paix, n’est-il pas sain de penser que la mort n’est jamais loin, qu’il ne nous reste finalement, que peu de temps à vivre ?
Et que, au lieu de détruire, nous ne devons obéir qu’à une loi : aimer et pardonner. Alors, plein de chagrin comme Job, nous associons à la peine de celles et ceux qui souffrent et perdent tout, pleurons et vivons.
"Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se donne sous le soleil ? Une génération s'en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours." La Bible, Nouveau Testament, Livre de l’Ecclésiaste, chapitre 1
Personne n’est irremplaçable. Tout homme est remplaçable. L’Homme est remplaçable. Les rois, les présidents, les amants, les tyrans, tous mourront un jour. Job, Lazare, Prométhée, Hamlet, Don Juan, allers-retours, enfer-paradis. Les saisons passent.
L’arbre de la vie, The tree of life, perd ses feuilles puis bourgeonne, puis perd ses feuilles. Tic toc, la comtoise compte nos heures. Tandis que les clepsydres se vident, l’eau de nos vies s’écoule sur le sable de nos plages, ni tout à fait la mer, ni tout à fait la terre. De la naissance à la mort, nous sommes des funambules, chaque vague efface nos pas, et nous, nous ne pouvons qu’avancer, seul ou accompagné.
Envisager la mort, celle des autres, ou pire, sa propre mort, déplaît.
Pourtant, quoi de plus naturel ? Il n’y a encore pas si longtemps, les oracles, les prophètes, les fous du roi, les bourreaux, les croque-morts (merci Morris) endossaient le rôle social de remettre la mort en face, les pendules à l’heure.
Maintenant, les seringues se remplissent de botox, et les chambres funéraires se font discrètes en périphérie des agglomérations, au fond des zones commerciales.
Car qui, sentant la grande faucheuse arriver, pourrait prétendre rester serein ? Quand les minutes s’allongeront, quand le temps s’étirera jusqu’à se figer, sur un lit médicalisé, comment réagirons-nous ? Quand, sous l’immobilité apparente, nos petites morts nous enfermeront, quand nos esprits, "libres" de tout corps, dans un décor vide, vagabonderont, comment réagirons-nous ?
Quand, devant l’éternité, avec ou sans seringue, il ne nous restera que le miroir de nous-même, quand des tempêtes mugiront sous nos crânes, quand les vagues furibondes mordront sur la plage, une vague, deux vagues, trois vagues après l’autre, où la vague à mille le temps nous engloutira-t-elle ? Quand l’insoutenable sourdait avec la violence silencieuse de l’Outre-Tombe.
Où irions-nous ? Pour Johnny, le va-t-en-guerre, corps sans membre, esprit vivant enfermé face à lui-même, la seule issue est sa propre disparition vers le néant. Pour Sylvain, écrivain voyageur, humaniste, c’est la route. Et pour le croyant, c’est la vie éternelle dans un ailleurs dont il doit bien reconnaître qu’il ne sait rien.
Sentant sa mort venir, la vie s’enfuir, l’homme postmoderne invite la "dignité", convoque le "droit". Mais quel droit l’Homme, fut-il postmoderne, aurait-il sur la vie ? Le droit de bien vivre ?
Certes. Le droit de jouir aussi. Le droit de choisir, peut-être. Quelle que soit l’issue fatale, avec ou sans dignité, il aura toujours peur. Fantômes du passé, vampires éternels, squelettes dodelinants, exutoires grand guignol n’y fera rien.
À nous La Toussaint, au Mexique, le jour des morts, ailleurs, Thanatos, Azrael, Hel, l’Ankou ; sur les écrans Coco, Chucky, Christine, Ça, Freddy, Esther, Annabelle, Mother, Les Autres, etc. La liste est longue. Dans nos contrées, l’horreur abrutissante est consommée en défilé carnavalesque ou comme une drogue, zapette à la main.
On/off. Je mets pause et la mort disparaît de mon champ de vision, et de mon esprit. Et, quand elle ressurgit dans la "vraie vie", car la mort fini toujours par s’imposer, l’injonction est d’avoir des résultats.
Finis la mort ! La médecine est une science, infaillible. Elle doit. Alors, il y a bien longtemps déjà, face à nos petites vanités fondantes comme du sucre, artistes, artisans, vigies de nos vies ont inventé les Vanités.
Sous forme de tableaux, de sculptures, d’installations, dans la mode, le design, ponctuant, tel un souffle léger, les galeries de nos humanités, elles sont mosaïques à Pompéi, natures mortes en Hollande, papillons bleus de Pasqua, Crâne aux diamants de Damien Hirst (le vrai nom de la sculpture est For the Love of God !) des simples tissus imprimés ou des peaux tatouées.
Hier dans l’art, aujourd’hui, jusque dans la rue, partout, la mort, crânement, nous fait la nique. Tel un rappel à l’ordre ecclésiastique, les oracles, les prophètes, les fous d’aujourd’hui crient : "Memento mori" : souviens-toi que tu vas mourir. Vanité des vanités.
"Vanités d’hier et d’aujourd’hui", un documentaire écrit par Audrey Lasbleiz et Marie-Laure Ruiz-Maugis, réalisé par Audrey Lasbleiz et produit par france.tv studio.
Christophe Zimmerlin
Pour voir ou revoir "Vanités d’hier et d’aujourd’hui" pendant 7 jours, cliquez ici ou suivez Présence Protestante sur Facebook.